Salut Freddy !

Lorsque je suis arrivée à La Cité, il n'y avait pas longtemps que tu étais parti, engagé à la RTB,
mais tu avais laissé un souvenir inoubliable. Dans la rédaction et chez Alex, au bistrot du coin,
on parlait encore des frasques du ket, de son arrivée haut comme trois pommes, de son culot,
de son talent. On parlait de ta maman aussi, qui avait été, comme on dit, de la maison.

Bref, lorsque je te voyais à la télé, que je t'entendais raconter les évènements du Congo, j'étais habitée par des sentiments mélangés : l'admiration, certes, la familiarité aussi, même si je ne te connaissais pas personnellement, l'envie bien sûr, de vivre de tels évènements et de si bien nous les raconter.

Ton exemple me donnait un seul désir : faire la même chose. Essayer à mon tour de raconter le Congo. Vivre les guerres, les moments politiquement chauds, raconter les crises comme tu le faisais si bien, en donnant l'impression qu'on y était…

Et puis finalement, c'est arrivé ! Nous nous sommes retrouvés à Kinshasa dans les années 90, celles de la Conférence nationale, celles de la lutte pour la démocratie, de l'émergence de l'opposition et de la société civile. Des moments inoubliables, car Mobutu sur le déclin multipliait les ruses et les menaces. Il y eut les pillages où nous avons vu des Européens quitter le pays en short, ayant tout perdu. Il y eut les interminables marathons politiques où les Congolais répétaient " tant qu'il n'y a pas d'accord sur tout, il n'y a d'accord sur rien… " et négociaient à la belge, ce que tu te faisais un plaisir d'expliquer à nos collègues étrangers, c'est-à-dire ni Belges, ni Congolais.
Tu avais une spécialité : à chaque séjour ou presque, tu te faisais coffrer, emporter par la garde civile, le Sarm, ou n'importe lequel des innombrables services de sécurité. Tu avais filmé ce qu'il ne fallait pas, posé la mauvaise question, celle qui fâche, tu t'étais baladé dans un quartier périphérique, sorti micro et caméras pour, quelle audace, demander l'avis de l'homme de la rue, qui ne s'était pas privé de répondre à " Monsieur François ".
A chaque fois, c'était le branle bas de combat à l'ambassade. Le fidèle, l'inamovible André Moens passait des coups de fil à ses contacts, l'ambassadeur s'arrachait les cheveux, les collègues s'apprêtaient à donner l'alarme : Freddy a été arrêté, il est détenu… Mais généralement très vite, à temps pour envoyer tes cassettes à Bruxelles et envoyer tes commentaires, tu refaisais surface et t'envoyais une bonne Primus question de te rafraîchir les idées…Je me souviens d'un certain jour où nous logions tous au Grand Hôtel.
J'étais sortie et au retour, je t'avais vu de loin, devisant dans le hall, attendant Philippe, ton taximan préféré qui se souvient d'ailleurs toujours de toi. Mais j'avais reconnu aussi de vilains Hiboux -la police politique de Mobutu, ses hommes de main- qui se dirigeaient vers l'hôtel visiblement à ta recherche. J'eus juste le temps de foncer vers toi, de te dire de filer par l'arrière, et de monter dans ma chambre appeler l'ambassade qui dépêcha des secours. Cette fois là, tu ne fus pas arrêté, mais c'était tout juste et nous nous en sommes réjouis, car les sbires étaient devenus plus méchants que par le passé.

Le dernier grand souvenir avec toi fut le Rwanda, avril 1994 : nous avons campé ensemble à l'aéroport de Kigali, assisté à l'évacuation des expatriés, vu les convois de Blancs qui se dirigeaient vers le Burundi. Pour y arriver pratiquement les premiers de la presse internationale, nous avions pratiquement du prendre d'assaut un C130 belge sur l'aéroport de Kigali. Nous tenions à arriver au Rwanda au plus vite, mais sans imaginer ce que nous allions y trouver. Ces journées là furent dures, physiquement, moralement : comment aurions nous pu imaginer l'ampleur de la tragédie qui se déroulait à quelques mètres de cet aéroport où nous étions confinés ?
Heureusement nous n'étions pas seuls, Simone Reumont nous a bientôt rejoints et aussi François Ryckmans et ensemble, nous faisions face au cauchemar. Durant bien longtemps le souvenir du Rwanda nous a hantés et il a cimenté notre amitié qui s'était nouée lorsque le Congo s'appelait encore le Zaïre.

J'aimerais conclure en te disant que lors de ces derniers reportages à tes côtés, je gardais à ton égard la même admiration qu'au début, car, après une si longue carrière, dans le journalisme, dans la politique, tu étais revenu sur le terrain avec la simplicité d'un débutant, la même curiosité, le même goût du risque, de l'aventure et aussi du travail bien fait, envoyé à temps, original, fignolé. Jamais tu ne t'es montré amer, blasé, cynique. Tu as toujours eu l'enthousiasme d'un débutant et c'est pourquoi, le ket, je te dis merci, car tu m'as ouvert la voie du journalisme et convaincue, jusqu'au bout, que cela reste le plus beau métier du monde…


Colette Braeckman
aaaaaaaaaaaaiii